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[Billet] Aiôn – Le jeu. Découvrir les imaginaires du temps

Aiôn – Le jeu. Découvrir les imaginaires du temps

Collectif Aiôn

La Nuit des chercheurs 2025, qui s’est déroulée le 29 septembre, a été l’occasion pour une partie des membres de l’équipe Aiôn1 de tester, à Besançon, pour la première fois auprès du grand public, leur support de médiation ludique.

Aiôn – Le jeu, comme son nom l’indique, est un jeu de plateau visant à faire découvrir les travaux menés au sein du programme Aiôn, depuis 2019. Celui-ci est formé de chercheurs issus de différentes disciplines (littératures, sciences de l’information et de la communication, sociologie, anthropologie, sciences et techniques des activités physiques et sportives, etc.) qui travaillent sur les imaginaires du temps. Dans ce cadre, il s’agit de s’intéresser aux diverses conceptions du temps en jeu dans le champ des loisirs. Plus encore, des études de cas permettent de s’intéresser aux loisirs dits alternatifs. En prêtant ainsi une attention aux marges et aux pratiques subculturelles, que celles-ci soient sportives, culturelles ou musicales, les membres d’Aiôn s’intéressent aux manières dont le temps est approprié, bricolé, détourné par les acteurs sociaux.

Dans ce contexte, après plusieurs années passées à travailler ces questionnements, une volonté collective de présenter les recherches au grand public autrement que par des conférences a émergé. Est ainsi née l’envie de proposer un dispositif ludique. Outre le fait que plusieurs recherches de membres du collectif portent sur les jeux, il nous semblait également que c’était là un outil qui faisait sens pour discuter de nos travaux sur les loisirs. Le financement ANR a permis de recruter notre collègue Aurore Deramond en post-doctorat. Après s’être immergée dans les univers de recherche de six membres de l’équipe, Aurore a travaillé avec Nicolas Piñeros (FabLab Ludomaker) pour le game design, autrement dit pour penser et mettre en place la mécanique ludique. Différents temps de médiation entre les chercheurs, Aurore et Nicolas ont ainsi permis de co-construire et d’affiner le fonctionnement du jeu. L’objectif de ce dispositif ludique était double. D’abord, afin qu’il puisse faire découvrir les travaux d’Aiôn, nous souhaitions que le jeu constitue un support d’échanges et de questionnements autour de certaines thématiques précises. Ensuite, outre cette dimension scientifique, nous voulions vivement que le dispositif constitue un « vrai » jeu, autrement dit que le gameplay permette une véritable immersion ludique. En somme, c’était un support mêlant « découverte scientifique » et « fun » que nous souhaitions créer.

Après plusieurs mois d’échange, d’allers-retours et de discussions aussi bien techniques que théoriques, le jeu a finalement pris la forme d’un dungeon crawler, un format ludique consistant en l’exploration de donjons, et auquel nous avons proposé un ensemble d’adaptations. Dans le cas du jeu Aiôn, il s’agit en effet moins d’entrer dans une forteresse médiévale que d’être projeté dans un univers au sein duquel le temps n’existe plus. Ainsi, ce ne sont pas des salles de donjons que les joueurs sont invités à découvrir, mais des univers correspondant aux sujets de recherche des membres d’Aiôn.

Photographie 1. Aiôn – Le Jeu, prototype.Crédits : Orlane Messey, Audrey Tuaillon Demésy

Le but du jeu est, pour les joueurs, de parvenir à réagencer l’ordre du temps pour pouvoir s’échapper de ce monde atemporel. Pour ce faire, ils entrent dans la partie en incarnant un personnage (derby girl/boy, fan de zombies, conteur.se de mythes, pratiquant.e, fan de fantasy ou punk.ette), qui appartient chacun à un univers qui lui est propre. Le jeu est collaboratif, et l’objectif est de parvenir à reconnecter ensemble les différents fragments temporels issus des six univers. Pour ce faire, les joueurs utilisent des « connecteurs » qui sont, en réalité, les concepts mobilisés par les chercheurs dans leurs travaux. On trouve, par exemple, des connecteurs tels que le « pouvoir », le « fun », la « résistance » ou encore l’« utopie ». Chaque positionnement d’un connecteur s’accompagne de concertations entre les différents joueurs, afin de savoir quelles sont les logiques qui président au fait de relier deux univers entre eux. Par exemple, le connecteur « apocalypse » relie-t-il les fans de zombies et les punks ? Pourquoi ? Après que les joueurs ont posé au minimum 5 connecteurs, le Grand Aiônarque, qui règne sur cet univers atemporel, vérifie la validité des connecteurs posés, et en explique les raisons. Un livret d’accompagnement permet également aux joueurs de vérifier par eux-mêmes les connexions et d’en apprendre davantage sur les concepts mobilisés. Si au moins 3 connecteurs sur 5 sont correctement placés, l’ordre du temps est suffisamment rétabli pour permettre aux personnages de regagner leur monde de départ. Bien entendu, ceux-ci disposent de différents pouvoirs les aidant dans leurs missions et leur permettant d’affronter différents monstres (troupeau de groupies, sorcière, pratiquant de béhourd ou despote sanguinaire, par exemple) qui empêchent d’accéder aux connecteurs.

Photographie 2. Le jeu en situation.Crédits : Orlane Messey, Audrey Tuaillon Demésy

Outre le temps nécessaire à la mise en place du plateau de jeu et au décor de la salle qui précède l’arrivée des participants, la durée du jeu est d’environ une heure, comprenant une quinzaine de minutes d’immersion narrative et d’explications des règles. Plus précisément, nous avons débuté chaque partie par une présentation succincte au projet Aiôn et par l’exposé des différents objets de recherche qui composent les univers du jeu. Ce premier temps articule ainsi médiation scientifique (puisqu’il s’agit de faire découvrir les travaux réalisés dans Aiôn) et immersion ludique (les joueurs devront, par la suite, choisir leur univers de jeu en fonction de ce qui leur a été détaillé en amont). Il nous a ainsi fallu être précis dans les explications données et cette étape implique de connaître assez précisément les travaux des autres chercheurs d’Aiôn. C’est ainsi également une manière de maîtriser en détail les objets des collègues.

Au cours de la soirée, nous avons eu la chance de pouvoir faire découvrir nos travaux et le jeu à plusieurs groupes venus découvrir le monde de la recherche, aux profils très différents. En effet, nous avons accueilli des groupes connaisseurs de jeux de plateaux et d’autres qui étaient peu habitués à ces dispositifs, tout comme nous avons échangé avec des personnes sensibilisées aux pratiques alternatives, et d’autres très éloignées de ces univers. Dans tous les cas, Aiôn – Le jeu a très bien fonctionné, permettant aussi bien d’amorcer des discussions autour de nos objets de recherche, que de générer des émotions lorsqu’il s’agissait de tuer un monstre trop fort.

Le choix des univers est la première étape d’engagement des joueurs dans une partie. Elle a parfois été sujette à hésitations et discussions entre les futurs sauveurs de l’ordre temporel. Par exemple, les zombis ont été écartés de la partie par le second groupe de joueurs car leur univers a été jugé trop effrayant. Une fois les personnages répartis, la mise en route du jeu s’est révélée plus ou moins complexe selon les groupes, nécessitant un temps de prise en main de la mécanique ludique. Pour cette grande première d’Aiôn – Le jeu, nous avons dû jouer le rôle de facilitateurs de la compréhension des règles. Néanmoins, après le premier tour, les quelques règles nécessaires au déroulement du jeu étaient largement comprises et les joueurs se sont plus facilement adonnés à des échanges et des réflexions concernant la stratégie (collective et parfois plus individuelle) à adopter pour progresser. La connexion des univers a ensuite joué un rôle plaisant de médiation. Les joueurs se sont en effet aisément reportés au Grand Livre d’Aiôn afin d’en apprendre davantage sur les connecteurs en leur possession. Bien entendu, nous devions veiller à ce qu’ils n’atteignent pas les dernières pages qui contiennent les solutions du jeu. L’une des discussions a ainsi portée sur le connecteur « sport ». Celui-ci pouvait-il connecter l’univers propre aux fans de fantasy ? Si le Grand Livre n’incluait initialement pas cette connexion, les joueurs se sont accordés pour dire que le quidditch, le sport pratiqué par Harry Potter, permettait assurément d’établir ce lien. De même, puisque les Hobbits « randonnent » pour rejoindre le Mordor, ils font aussi du sport. L’argument, convaincant, nous a finalement conduits à ajouter ce connecteur pour « fan de fantasy ». Quand les univers n’étaient pas étrangers aux joueurs, ils s’appuyaient volontiers sur leurs propres expériences et références cinématographiques, livresques, sportives ou musicales pour fonder leur argumentation. Médiation scientifique, réflexivité théorique et immersion ludique ont ici prouvé leur efficacité, les imaginaires travaillés par Aiôn étant aussi questionnés au sein même du jeu et au contact du grand public. Pareillement, la question de la pilosité a suscité quelques débats, notamment celui de savoir si les follicules pileux des zombies poussaient toujours… Enfin, le connecteur « pouvoir » a conduit les joueurs à argumenter afin de savoir s’il reliait les univers de fantasy et de zombies. Si tous s’accordaient pour associer le pouvoir au second, il n’en était pas de même pour le premier. Les participants ont alors argumenté en prenant en compte diverses définitions du pouvoir : le pouvoir est magique en fantasy, mais il y a également des enjeux de luttes politiques. Au final, ne parvenant à se mettre d’accord, ils ont décidé de voter et d’expérimenter ainsi le pouvoir de la majorité. À quatre contre un, le connecteur a permis (avec raison) de relier les deux univers en question.

Le contexte de la Nuit des chercheurs nous a obligés à réduire les temps de jeu, afin de permettre à davantage de groupes de découvrir notre dispositif. Nous avons ainsi parfois été obligés d’encourager l’accélération des débats, en convoquant des arguments catastrophes tels que « La fin du monde est proche, veuillez vous dépêcher », « Il ne nous reste plus que cinq minutes avant que l’ordre temporel ne soit définitivement bouleversé », etc. Finalement, les groupes sont tous parvenus à rétablir au moins partiellement l’ordre temporel, nous sauvant ainsi de bouleversements dont nous ne serions certainement pas sortis indemnes (et leur permettant par la même occasion, de quitter la salle).

Suite à cette première expérience « en situation », nous avons ainsi effectué quelques ajustements (sur les règles et les pouvoirs des personnages) mais aussi sur les connecteurs et sur certains personnages. Nous nous sommes ainsi rendu compte que l’univers du jeu de rôle grandeur nature à thème viking était bien trop proche, pour les joueurs, des univers des Arts martiaux historiques européens ou des fans de fantasy. Nous avons ainsi remplacé le « GNiste viking » par un « Conteur de mythes » qui fait non seulement référence à un collègue conteur d’Aiôn et aux autres dispositifs de médiation qui ont pu être mis en œuvre dans le cadre de ce programme, mais ce personnage permet également de mieux faire ressortir des connecteurs tels « Moyen Âge », « Mythes » ou « Réception ».

Le jeu est encore sous forme de prototype mais les membres du collectif s’attellent à penser les illustrations qui vont l’accompagner pour en proposer une version éditable.

Plus d’informations : https://aion-project.org

Tous nos remerciements à Aurore Deramond pour son accompagnement au long cours et sa belle lecture du programme Aiôn et à Nicolas Piñeros pour son aide précieuse quant au game design.

 

Crédits : Orlane Messey, Audrey Tuaillon Demésy

 

1Orlane Messey, Sacha Thiébaud, Audrey Tuaillon Demésy


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurent Di Filippo (10 octobre 2025). [Billet] Aiôn – Le jeu. Découvrir les imaginaires du temps. Mundus Fabula. Consulté le 7 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14w2a


Laurent Di Filippo

MCF en SIC, docteur en SIC et études scandinaves. Membre du CREM. http://laurent.di-filippo.fr

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